Le rapport Darrois progresse en coulisses
Bonjour à tous,
Voici quelques nouvelles -plutôt inquiétantes- concernant le projet de création du statut d’avocat en entreprise pour ceux qui n’ont pas tout suivi (c'est urgent) :
- la FNUJA et la Conférence des Bâtonniers se sont prononcés dernièrement
(respectivement le 15/05/2010 et le 30/04/2010)
contre la réforme à de très fortes majorités, sachant que la FNUJA a carrément demandé, en sus, la suppression pure et simple de la passerelle existante, et ce sans période transitoire
- Le Conseil de l’ordre de Paris : a émis une résolution favorable à la réforme (en juillet 2009)Celui du 92 devrait faire de même ce département étant également un barreau d'affaires.
- L’ACE (Avocats Conseils d'Entreprises) [et la nouvelle association ouverte exclusivement aux avocats exerçant (et souhaitant) exercer en entreprise, l’association le « Barreau en entreprise », sont très favorables à la réforme et développent des arguments identiques, ce qui laisse penser à une parenté… certaine entre ces deux-là.] On peut légitimement s’étonner devant certains desdits arguments mis en avant pour précipiter la réforme, tels que le risque de délocalisation des directions juridiques à l’étranger faute de legal privilege au sein des entreprises françaises, ou « cette amputation imposée » que subissent les avocats « obligés » de raccrocher la robe lorsqu’ils font le choix de travailler en entreprise…
Question passerelle, l'ACE estime dans sa "
réponse"
du 3/06/2010 que le port du titre d'avocat en entreprise devrait être conditionné à "
des responsabilités importantes, un pouvoir de décision et donc une place assez élevée dans la hiérarchie pour pouvoir prétendre à ce titre. Il n'est question dans l'esprit de personne que tout juriste d'entreprise, quel que soit son niveau d'exercice et de responsabilité puisse accéder à la profession d'avocat"
. En résumé, pour l'ACE la passerelle doit être réservée aux directeurs juridiques...
Encore plus fort, l'ACE évoque le risque de la création d'une profession réglementée de juristes, lesquels seraient alors libres d'aller travailler chez leurs concurrents (autres professions réglementées ou non)...
- Le Cercle Montesquieu (association regroupant des Directeurs Juridiques), sans surprise, s’est prononcé en faveur de la réforme (cf communiqué très bien détaillé et structuré du 13 septembre (avant Akzo) puis du 15/09/2010 (après AKZO...), le premier étant assez instructif notamment pour ceux qui veulent commencer à se faire une idée des nouvelles cotisations qui pourraient être à leur charge en tant qu’avocat en entreprise, et les critères de passerelle proposés par cette organisation. Par exemple, un avocat en droit étranger inscrit sous son titre d’origine pourrait bénéficier du statut en 3 ans, tandis que pour un juriste de droit français, 5 ans sont évoqués à titre d'exemple…étant précisé que pour l’exercice en libéral l’exigence de 8 ans serait maintenue) Pour information, le Cercle Montesquieu supportait l’idée de réserver le bénéfice de la passerelle vers le statut d’avocat en entreprise (et le legal privilege sensé aller avec) aux directeurs et responsables juridiques (cf rapport sur le rapprochement entre les professions d’avocat et de juriste d’entreprise publié par la Chancellerie le 27/07/2006) Nous ne sommes pas convaincus à ce jour que cette position est définitivement abandonnée, même si elle n’apparaît pas dans le communiqué de septembre.
- le CNB devait se prononcer le 11/12 septembre dernier, mais il semble que ce soit reporté au 19/20 novembre 2010 (à confirmer). Sa position pourrait être favorable.Son Président Thierry Wickers a enfin réussi à déclencher l'ire de l'AFJE en déclarant à la presse que "
depuis le rapport Darrois la question n'est plus tant le rapprochement de ces professions que celles des conditions aux termes desquelles les avocats pourraient demain exercer en entreprise. Sous cet angle seuls les avocats ont voix au chapitre"
. (cf Gazette du Palais dim. 4 au Mardi 6/10/2010.)
- Pavé dans la marre de l’« Avocat en Entreprise », la cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a confirmé, dans un arrêt AKZO en septembre (le 14), son refus de reconnaître le legal privilege aux avocats en entreprises même inscrits à un barreau de l’Union Européenne, ce qui élimine l’un des principaux intérêts de la création d’un tel statut pour les juristes d’entreprises comme pour les entreprises elles-mêmes (sachant que par « les entreprises » on entend ici surtout certaines entreprises du CAC 40, car peu de PME auraient intérêt à se payer un « avocat en entreprise » juste pour conserver leurs petits secrets à l’abri des perquisitions. Sans oublier que lesdites perquisitions sont tout de même motivées par la nécessité de faire appliquer la Loi et favoriser une plus grande transparence des pratiques… et avec le passage de la crise dont nous n’avons pas fini de subir les effets, une plus grande Transparence, réclamée par notre Président de la République sur la scène internationale, n’est-elle pas à terme une condition indispensable à la pérennité du système économique européen ?)
- Attention la JP de la CJUE ne décourage pas les promoteurs de la réforme qui souhaitent faire rapidement adopter le statut d’avocat en entreprise en droit interne pour ensuite faire pression, de concert avec d’autres lobbyistes européens, sur la Commission EU afin que cette dernière revienne sur la JP AKZO.
- L’AFJE, semblait avoir révisé sa position et paraissait enfin décidée à défendre ses membres (cf communiqués du 22/07/09, du 21/01/2010 sur l'acte d'avocat et de juin 2010 (en réponse aux "
gentillesses"
du Président du CNB T. Wickers), intervention du Vice Président lors de la conférence sur l’avenir des professions juridiques du 30/09/2010 dernier organisée par l’EDHEC…et c’est tant mieux (peut-être que nos travaux de communication ont porté leurs fruits… et peut-être que le nouveau Président et le Vice Président ne sont pas étrangers à ce revirement bienvenu?) Affaire à suivre de près cependant, car le Conseil d’Administration de cette association (composé essentiellement de directeurs juridiques de grands groupes, et peu habitué à faire voter les « simples membres » avant de prendre position…) pourrait être tenté, malgré la bonne volonté récemment affichée, de placer le legal privilege au dessus des "
basses"
préoccupations d’évolution/survie professionnelle de leurs 4000 membres et des velléités de transparence ou autre questionnement "
improductif"
sur la notion d’intérêt général. En ce sens voir le communiqué du 21/09/2010, qui porte un germe d’ambiguïté.
L'AFJE devra trancher entre les intérêts du clan des lobbyistes et celui de la majorité de ses membres qui ne sont pas des directeurs juridiques au service de groupes internationaux, mais de simples citoyens. Son Conseil d'Administration devrait se prononcer le 19/10/2010, dans la plus grande "
intimité"
.
- L’association des Juristes de Banques (ANJB) et l’Association des juristes d’Assurance (AJAR) devraient se prononcer prochainement. (et pourraient également subir quelques pressions en faveur de la réforme, car les banques, tout au moins, sont un peu allergiques aux perquisitions ces temps-ci…). A surveiller.
Par ailleurs, certaines des propositions du rapport Darrois servent de base à au moins deux textes de loi qui auront un impact direct sur les juristes d'entreprise :
- Le projet de loi sur la modernisation des professions juridiques reprenant notamment *l’ « acte d’avocat », dont nous estimons l’utilité pour les acteurs économiques et les usagers du droit douteuse (ressemble plus à un droit de timbre/taxe parafiscale pour renflouer les avocats qu'à une bonne idée). Sans compter qu’il pourrait, si une pratique d’exigence de ce type d’acte par les cabinets d’avocats similaire à celle de la « legal opinion » s’instaurait, priver à terme les juristes rédacteurs de contrats de la valeur de leur signature au profit des seuls avocats). Les huissiers qui partagent cette inquiétude, l'ont, eux, clairement manifestée par l'intermédiaire de Sénateurs auprès de la Chancellerie, dont les réponses ne sont pas de nature à rassurer les juristes.
*le principe des structures holding financières « SOCIETES DE PARTICIPATIONS
FINANCIERES DE PROFESSIONS LIBERALES » permettant à des membres de professions juridiques réglementées de s’associer pour les "
choses sérieuses"
: la gestion et la récupération des Gros Sous, à défaut de pouvoir se fusion-absorber de manière trop visible ou de travailler dans des structures communes (ce qui ouvre enfin le terrain tant convoité du notariat français aux cabinets anglo-saxons. Précisons qu’à ce stade les juristes « sans titre » en sont exclus, et rien n’est précisé concernant les « avocats en entreprise ».
Ce projet de loi a déjà été adopté par l’Assemblée Nationale ;
il fait actuellement l’objet d’une première lecture au Sénat (Me Darrois avait été auditionné par la commission des lois en mai 2009, et franchement les arguments présentés recèlent de contradictions et d’inexactitudes pour ne pas dire plus. Edifiant de voir que personne ne les relève.)
- Le futur projet de loi de finance pour 2011 pourrait s’appuyer sur le rapport Darrois pour trouver des solutions en vue du financement de l’aide juridictionnelle (à surveiller car rejoint potentiellement la question des cotisations dont devront s’acquitter les heureux « avocats en entreprises »)
Il y a certainement encore d’autres émanations de ce rapport dans le pipeline à surveiller comme par exemple :
- Le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel a été adopté
en 2ème lecture à l'Assemblée nationale le 13 octobre 2010.
La disparition totale des avoués (et de leurs salariés...) a été repoussée au 01/01/2012 et les indemnisations prévues améliorées grâce aux amendements proposés par le Sénat qui doit encore revoir le texte en 2e lecture. Les avoués (justifiant de 5 ans d'expérience comme pour les autres professions réglementées?) devraient pouvoir se reconvertir en avocats mais les conditions de leurs passerelles sont à surveiller car nécessitant sans doute de retoucher le décret de 91 qui concerne aussi les conditons de la passerelle des juristes d'entreprise et de cabinet...
La fragmentation des projets/propositions de loi fondés sur les propositions de la Commission Darrois accentue le sentiment général de manque de transparence et d'effectivité des débats sensés contribuer à l'édification d'une Grande Profession du Droit à la Française, pourtant porteuse de nombreux espoirs : On divise les professionnels du droit pour mieux règner, on fractionne les débats et les textes pour mieux noyer le poisson.
En résumé, le réveil risque d'être extrèmement brutal pour certains juristes et la société civile.
Il n'y a sans doute jamais eu autant d'avocats (d'affaires) au gouvernement et au parlement.
pour le collectif de défense des Juristes d'entreprise, écrit par Léonine (sur le blog du collectif ici :
http://darrois-commission-desarroi.over-blog.com)